Effets d’îlots de chaleur : quels impacts ? quels outils pour les identifier ?

Retour sur les différents enseignements tirés lors du café climat « Coup de chaud sur la ville : comment s’adapter ? » organisé par l’Agence Parisienne du Climat le 3 juin dernier. Tout au long de la séance, des expert·es de l’adaptation au changement climatique ont donné des éléments de réponse à des questions que l’on se pose tous.
Article publié le 15 juin 2021

Explication du phénomène d'îlot de chaleur urbain

L’îlot de chaleur est une forme de bulle d’air chaud qui stagne sur la ville. En journée, des archipels d’îlots de chaleur se forment sur la ville. Les espaces s’échauffent de manière différente selon les matériaux, la morphologie, la végétation…  

Morgane Colombert, ingénieure et docteure en génie urbain, nous a donné lors de ce café climat des éléments de réponses qui permettent de mieux appréhender ce phénomène et ses causes.

Quelles différences de températures sont constatées ?


La nuit, la différence de température entre la ville et les zones rurales alentours peut aller de 4 °C jusqu’à 15 °C dans certaines grandes villes de l’Europe, fortement climatisées. À Paris, une différence de 8 °C avait été relevée. 

Pourquoi la chaleur emmagasinée en journée s’évacue-t-elle moins bien la nuit ?


Plusieurs facteurs expliquent ce phénomène en ville :
 
  • La forme urbaine est peu ouverte au ciel
  • Les vents sont affaiblis
  • La chaleur anthropique (climatiseurs, voitures) persiste la nuit
  • Certains matériaux relâchent la chaleur emmagasinée en journée

Peut-il y avoir des îlots de chaleur en zone rurale ?


Sous 40 °C en pleine journée, nous aurions tous tendance à éviter de rester statique sur le parking d’une grande surface, même en zone rurale. Et pour cause : les phénomènes d’échauffement dû aux matériaux, à l’absence de végétation, sont les mêmes peu importe que l’on soit en ville ou à la campagne. Les zones d’activités économiques avec des surfaces de parkings importantes sont un bon exemple d’espaces concernés par exemple ces phénomènes.

Cependant, la nuit, la situation est différente. Les zones rurales peuvent se refroidir rapidement, alors qu’en milieu urbain dense, la chaleur accumulée dans les matériaux ne s’évacue pas et stagne au-dessus de la ville : c’est l’îlot de chaleur urbain.

L’effet d’îlot de chaleur est donc bien une spécificité urbaine.

Comment lutter contre ce phénomène ?


Les chercheurs ont largement investi la problématique de l’îlot de chaleur. Certains leviers ont été identifiés pour permettre de lutter contre. Ces leviers interviennent à différentes échelles :

  • Agglomération
  • Quartier
  • Bâtiment

En effet, différents territoires influencent une zone urbaine : si on met plus de forêt, plus de matériaux clairs, autour de Paris, les modélisations montrent qu’on peut avoir des influences en termes de température et de réduction de l’effet d’îlot de chaleur urbain directement sur Paris.

Limiter les rejets de chaleur des transports, des industries, agir sur la ventilation et les formes urbaines, contrôler les apports solaires et l’ombrage, végétaliser, créer des parcs, des jardins, sont autant de solutions qui permettent d’atténuer l’effet d’îlot de chaleur urbain.  


3 choses à retenir sur l’îlot de chaleur, par Morgane Colombert, ingénieure et docteure en génie urbain


  • Les îlots de chaleur sont le fruit de processus (changement climatique, climat urbain, transformation des villes, évolution des modes de vie) complexes, entrelacés, avec des enjeux multiples (environnement, santé, etc.)
  • Une solution de rafraîchissement urbain ne va pas avoir pour seul impact la diminution locale des températures
  • Il est nécessaire d’avoir une réflexion multi-échelle, pour intégrer les liens entre les échelles de la rue, du quartier, de la ville ; et une vision globale pour éviter les reports d’impact sur d’autres enjeux

Pourquoi lutter contre les îlots de chaleur ? 

Il est vrai qu’en hiver, une différence positive de température de 8 °C peut être considérée comme plus confortable. Néanmoins, derrière cette satisfaction toute relative, se cachent en été des impacts sur la santé lourds de conséquences.

Erwan Cordeau, de l'Institut Paris Région, nous a expliqué les conséquences sanitaires du phénomène et les outils développés pour identifier les vulnérabilités. 
 
Alors que l’îlot de chaleur a des conséquences avérées sur la santé, les scientifiques prévoient une augmentation et l’intensification des épisodes de vagues de chaleur et des nuits tropicales, notamment sur Paris. L’îlot de chaleur a aussi des impacts sur la faune et la flore, le confort thermique, la demande en climatisation. 

Des impacts sanitaires importants 


Avec l’augmentation et le vieillissement de la population en ville et des étés de plus en plus en chauds, la vulnérabilité des habitant·es soumis·es à l’effet d’îlot de chaleur urbain augmente.
 
La canicule de 2003 a constitué un véritable électrochoc. Cette canicule, la plus sévère que la France ait connu depuis 1947, a marqué les esprits avec pas moins de 20 000 décès attribués, dont 5 000 décès en excès constatés en Île-de-France.
 
Suite à cet épisode, des mesures d’urgence ont été mises en place par l'État, incarnées dans les plans canicules, déployés dans les communes. Cependant, ces mesures n’ont pas permis de résoudre le problème de fond puisque les décès en excès liés aux canicules en France restent importants : 

  • 2 000 en 2006
  • 3 300 en 2015
  • 1 900 en 2020 

Le risque de décès d’un·e habitant·e vivant dans un îlot de chaleur urbain reste donc deux fois plus important qu’un·e habitant·e non exposé·e. Dormir dans une chambre sous les toits multiplie ce facteur par 4,1 ! 

De plus, une étude de Santé Publique France note « une réduction importante du risque de décès liés aux très fortes chaleurs dans les communes moins « artificialisées », moins imperméabilisées, et plus arborées, en particulier à Paris et dans la petite couronne. »
 
Comme l’explique Erwan Cordeau, il reste donc un « équilibre à trouver entre les interventions d’urgence (alerte canicule) et les interventions de fond visant à réduire l’exposition des habitant·es ».


Des outils de diagnostics pour savoir où et comment agir 

Présentation des Local Climate Zone et de l’outil « Chaleur en Ville » : identifier les vulnérabilités du territoire et des populations


Erwan Cordeau, de l’Institut Paris Région, a présenté la méthodologie des zones climatiques locales, qui a été utilisée pour identifier les zones vulnérables à l’effet d’îlot de chaleur sur la région francilienne.

Cette approche prend en compte trois facteurs de vulnérabilités :
 
  • L’aléa : l’effet d’îlot de chaleur dans les villes
  • La sensibilité : la fragilité des personnes et des biens lors d’une canicule
  • La difficulté à faire face : le déficit potentiel des ressources locales face au risque de canicule

La première étape de cette méthode est de décrire les formes et fonctions des villes, leurs spécificités : les îlots morphologiques urbains. Ensuite, des caractéristiques sont attribuées aux îlots morphologiques urbains : morphologie, imperméabilisation, propriétés des matériaux, rejets de chaleur par l’activité humaine. Cela permet de conférer des propriétés d’effet potentiel de chaleur ou de fraîcheur à ces zones.
 
Cette méthodologie a permis de construire une cartographie interactive en accès libre sur le site de L’Institut Paris Région qui indique si la classe des zones climatiques locales (local climate zone) le jour et la nuit. C’est l’outil Chaleur en ville. Il détermine l’exposition des zones et leur vulnérabilité.

Parmi les zones vulnérables identifiées, on remarque une surreprésentation des ménages à bas revenu et en condition de suroccupation des logements. Ces personnes peuvent aussi occuper des passoires thermiques, et n’ont pas les ressources économiques pour « faire face » à l’aléa canicule.
 
La géographie territoriale montre que Paris est très concernée par l’effet d’ICU, avec une très grande partie de sa population qui vit dans des zones à effet d’îlot de chaleur urbain.
 
Ce diagnostic de vulnérabilités permet de savoir sur quel(s) levier(s) il s’agit d’agir principalement (renforcer les capacités à faire face, lutter contre les effets d’ICU, améliorer les conditions de vie). 

Présentation de l'outil Score ICU : modéliser les impacts des projets d’aménagements sur l’effet d’îlot de chaleur urbain


Alexandre Colin, architecte paysagiste, nous a présenté l'outil Score ICU qui permet d'appréhender les impacts d'un projet d'aménagement sur l'effet d'îlot de chaleur. Développé par E6 Consulting, cet outil permet de fournir des cartes qualitatives sur des projets d’aménagement, à différentes échelles. Les cartes proposées modélisent l’effet d’îlot de chaleur pour l’existant ou pour un projet.
 
Cet outil d’aide à la décision permet également de gagner du temps sur la modélisation des projets. Il a été utilisé par de nombreuses collectivités (Grand Lyon, Niort, Aix Marseille, Bordeaux métropole, Bayonne, Valence, Nanterre, Essonne, Monaco, Région Hauts de France etc.) et certaines entreprises : Vinci Construction, Lafarge…
 
L’outil permet de classer les zones « chaudes » et « fraîches » grâce à un classement des aménagements en 9 « tranches de chaleur », de la plus fraîche à la plus chaude.
 
Score ICU ne cherche pas à prédire la température exacte qu’il fera mais à sensibiliser sur le sujet et impulser un dialogue constructif sur les solutions possibles à mettre en œuvre pour améliorer le projet et terme d’effet d’îlot de chaleur urbain.
 
Pour modéliser un projet via score ICU, plusieurs étapes sont nécessaires : la modélisation des ombres portées, le dessin du projet, le calcul des surfaces, l’importation des données sous Score ICU. Tous les logiciels nécessaires à ces étapes sont gratuits.
 
D’autres outils ont été conçus par E6 consulting : Score perméabilité et Arbre en ville.  

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