Dans la métropole de Lille : un projet européen pour adapter les zones d’activités commerciales aux impacts du changement climatique

Adapter la ville aux changement climatique, ce n’est pas seulement adapter les centres-villes : c’est aussi adapter les secteurs périphériques que l’on ne souhaite pas forcément voir, mais qui drainent pourtant une activité importante, comme les zones d’activités économiques. 
Ultra minéralisées, contributrices à l’effet d’îlot de chaleur urbain, avec une activité économique importante et pourtant souvent oubliées des programmes de planification environnementales : les zones d’activités ont un potentiel d’adaptation important peu exploré jusque-là. Nous sommes allés à la rencontre de la Métropole de Lille pour comprendre leur projet d’adaptation au changement climatique sur deux zones d’activités dans le cadre du projet européen IB-Green.
 
Résumé de notre entretien de mars 2024 avec la Direction Transition Energie Climat de la Métropole Européenne de Lille (MEL), responsable du projet IB Green. 


Pourquoi avez-vous décidé d’intervenir sur l’adaptation des zones d’activité ? Quels sont les enjeux qui les concernent ?

Les zones d'activité représentent 15% des surfaces urbanisées, ce n'est pas rien, et elles sont minéralisées à 80% voire 90%. Ces zones sont le reflet des politiques économiques des années 1980-1990, où l’on aménageait dans une logique du tout voiture, tout béton, et où on sortait les industries de la ville. On n’avait alors très peu conscience de la limite des ressources, et il n’y avait pas de réflexion sur la gestion des eaux pluviales à la parcelle.
 
Les politiques d’adaptation existantes se focalisent plutôt sur les centres-villes (cours d’écoles, rues, etc.), mais il n’existait pas encore d’actions sur ces zones peu attractives, qu’on appelle parfois « la France Moche ». Or, ce sont des zones nécessaires à l'économie du territoire, et qui concentrent beaucoup d’emplois : 12 000 entreprises de la Métropole Européenne de Lille y sont implantées, et 105 000 salariés y travaillent.


Quels sont les risques climatiques les plus importants sur la Métropole Européenne de Lille ?

Le territoire de la Métropole Européenne de Lille va être soumis à des vagues de canicule de plus en plus fréquentes et de plus en plus intenses, ce qui va augmenter le phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU). On va avoir également une augmentation des précipitation extrêmes, autant en fréquence qu'en intensité, qui vont accroitre le risque d'inondations.

Ces deux aléas, canicules et fortes précipitations, vont avoir comme conséquences un déclin de la biodiversité locale et un stress hydrique subi par la végétation.

Comment avez-vous choisi les zones d’activités à adapter dans le cadre du projet IB-Green ?

Deux zones d’activité de la Métropole Européenne de Lille ont été ciblées :
 

1. La zone d'activité de Ravennes-les-Francs à Tourcoing


Construite en 1991, elle s’étend sur 74 ha. Environ 80 entreprises y sont installées, et elle accueille 1 475 salariés. Elle a été choisie car elle est à proximité directe de la ville, et notamment de futurs logements : il est particulièrement intéressant de l’intégrer davantage à la ville et d’y augmenter la végétation pour qu’elle constitue un nouvel espace de nature en ville.

2. La Zone Industrielle de Lille Seclin à Seclin


Construite en 1967, elle s’étend sur 200 ha et ses 250 à 300 entreprises accueillent chaque jour entre 8 000 et 9 000 salariés. C’est une zone plus rurale, qui se situe sur une commune « gardienne de l'eau », c’est-à-dire une commune qui se trouve sur la zone de recharge de la nappe phréatique. Il est donc intéressant d’y intervenir en termes de désimperméabilisation pour participer à la préservation de la ressource en eau. Le défi est d’infiltrer l’eau sans polluer la nappe par les hydrocarbures liés au trafic routier, en stockant temporairement l’eau pour la dépolluer par exemple.
 

Au sein de ces zones d’activité, sur quel périmètre peut agir la Métropole Européenne de Lille ?

La MEL détient la compétence sur la voirie : elle peut agir « de trottoirs à trottoirs » sur la chaussée et les réseaux qui se situent en dessous. Elle peut choisir d’y implanter de la végétation, en concertation avec les communes car ce sont elles qui seront ensuite en charge de son entretien. Ce sont également les communes qui ont la charge de l’éclairage public.
 

Quels sont les aménagements prévus sur les deux zones d’activité dans le cadre du projet européen IB-Green ?

Nous avons choisi d’intervenir sur deux petites rues car cela permettra de les aménager dans leur entièreté. Nous en sommes encore à la phase de conception, on essaie de voir ce qui existe, et on ne se ferme pas de portes mais on doit être conscients des faisabilités et des contraintes (budgétaires, techniques).

Actuellement, il n’y a quasiment aucune végétation et l’espace est dédié presque exclusivement à la voiture. Pour récupérer une partie de l’espace pour végétaliser, une des deux rues va être passée en sens unique, et des places de stationnement vont être supprimées. Les espaces dégagés vont permettre d'accueillir des noues et des arbres.

L’objectif est aussi de faire de la place pour les cyclistes en plus des piétons. Sur la zone de Seclin, ces deux usages vont probablement être conciliés au travers d’une voie verte, où piétons et cyclistes se côtoieront : c’est une nouveauté pour nous de créer une seule voie pour deux usages, mais cela nous semble pertinent dans une zone d’activité économique, où il y a peu de mobilité douce.

On a aussi une réflexion sur la gestion intégrée des eaux pluviales : on va essayer d’amener l'eau en priorité vers les espaces verts plutôt que vers le réseau, et on envisage des matériaux poreux pour la partie cyclable et piéton. On ne les envisage pas pour la chaussée, qui doit résister à de très fréquents passages de poids lourds, mais on est en train d’étudier la possibilité de faire une chaussée réservoir.

Ces aménagements “vitrines” sont également l’occasion pour nous d’expérimenter plusieurs solutions au même endroit : pourquoi pas tester différents revêtements sur des petites parcelles par exemple, en concertation avec les communes.

Au niveau de l’éclairage public, nous souhaiterions construire une trame noire, peut-être avec des lumières s’allumant seulement lorsqu’il y a du passage. Il faudra prendre en compte les usages du lieu, et notamment des entreprises logistiques dont l’activité commence très tôt.


Qui sont les parties prenantes impliquées dans ce projet ?

Les communes de Tourcoing et Seclin sont bien sûr associées à la partie conception des aménagements, car ce sont elles qui vont récupérer la gestion au quotidien de ces rues-là. Elles sont par exemple associées pour le choix des essences végétales.

Il faut aussi bien prendre en compte les besoins des entreprises, puisque ce sont elles qui utilisent les voies. Le trafic de poids lourds ne permet pas par exemple de choisir des pavés comme revêtements.
Nous souhaitons aussi développer un programme à destination des entreprises, qui ont la gestion de nombreux parking et détiennent beaucoup de foncier dans la zone, afin de les sensibiliser, les informer des solutions et des aides existantes (comme celles des agences de l’eau) pour qu’elles prennent part à la transformation de la zone.

Un partenariat a été monté avec l'Université de Lille, qui a fait le diagnostic faune flore et des propositions d’aménagements pour les rues.

Nous sommes aussi en contact avec l'association ADOPTA (Association pour le Développement Opérationnel et la Promotion des Techniques Alternatives en matière d'eaux pluviales) qui est basée à Douai et dont on est allés voir le showroom.

Nous échangeons aussi avec le CERDD (Centre Ressource du Développement Durable).


Qu’est-ce que cela vous apporte de travailler avec d’autres partenaires européens ?

Le projet IB-Green rassemble autour de l’adaptation des zones d’activités au changement climatique 11 partenaires dans 6 pays de l’Europe du Nord-Ouest : Allemagne, Belgique, France, Irlande, Luxembourg et Pays-Bas. Tous les six mois, une visite est organisée chez l’un des partenaires : on est par exemple allés à Wiesbaden (Allemagne) en septembre, au Luxembourg en février, et on se rendra en Belgique en juin. Ces visites permettent de voir comment les choses se font ailleurs. A Wiesbaden par exemple, on a vu qu’ils menaient un gros travail de vulgarisation sur les enjeux d’adaptation auprès des citoyens, et ça nous a donné envie de nous améliorer sur notre communication. D’autres pays misent davantage sur des solutions “grises”, alors que nous sommes plus centrées sur des solutions d’adaptation fondées sur la nature.


À votre avis, qu’est-ce que ce projet va apporter à l’échelle de la métropole ? Quels seront les apprentissages, y aura-t-il des modifications des pratiques ?

En termes de méthodologie, travailler en mode projet nous amène à traiter entre directions qui ne collaborent pas habituellement : les deux directions qui pilotent le projet, la Direction Transition Energie Climat et la Direction du Développement Economique, et quatre autres directions qui nous accompagnent sur le volet technique : la Direction Assistance à maîtrise d’ouvrage, la Direction de l’eau et de l’assainissement, la Direction Espace public et voirie et la Direction Nature, Agriculture et Environnement. L’équipe projet, coordonnée par la Chefferie de projet, se réunit tous les mois au sein de groupes de travail afin de faire le point sur les avancées.
 
Le calendrier imposé par le projet européen nous permet de garder un certain tempo, avec des échéances tous les 6 mois et une livraison et un plan de gestion des aménagements qui doivent avoir abouti au terme des 3 ans et demi du projet.
 
Cette expérience nous permet aussi de tester de nouvelles pratiques et d’innover : on va par exemple faire pour la première fois un marché pour diagnostiquer la surchauffe du territoire. Cette méthodologie pourrait nous servir pour d’autres rues. La voie verte cyclable-piéton serait un aménagement encore inédit pour la MEL.


À l’avenir, comment envisagez-vous la transformation des zones d’activité pour qu’elles soient adaptés au changement climatique ?

Derrière la vocation test du projet, il y a une volonté de pouvoir requestionner la politique de gestion des parcs d'activité et d'intégrer des opérations de verdissement plus systématiques dans les opérations de travaux

On reste vigilants à ce que le projet soit réplicable, et non pas quelque chose d’hyper innovant ou hors sol, pour pouvoir essaimer ce qui a fonctionné et développer une politique d’aménagement durable des parcs d'activité, au travers la plantation d’arbres, la mesure des ICU, le développement de corridors écologiques. 

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