Le risque d'inondations par remontée de nappe à Paris

A Paris, les crues de la Seine sont bien visibles en surface, mais elles peuvent aussi entraîner des inondations dans les sous-sols parisiens… On vous explique tout sur les phénomènes d’inondation par remontées de nappes. 
Article publié le 2 mars 2022

Quels sont les différents types d'inondation possibles ?

On peut distinguer trois principaux phénomènes provoquant des inondations sur le territoire francilien.
 
  • Les épisodes pluvieux très courts et intenses engendrent un ruissellement pouvant causer des inondations très localisées et souvent de courte durée, souvent dues à l’engorgement des avaloires. Il est possible de réduire ce ruissellement en désimperméabilisant les sols un maximum, ce à quoi répond le plan Paris Pluie.
  • Les pluies abondantes et continues sur de plus longues périodes peuvent provoquer une élévation du niveau des cours d’eau, comme la Seine, jusqu’à leur débordement.
  • Enfin, des pluies importantes sur de longues périodes peuvent entraîner des remontées de nappes superficielles, qui sont par exemple à l’origine d’inondations de caves ou de sous-sols. 

Pourquoi Paris est concernée par le phénomène d'inondation par remontée de nappe ? 

La présence de nappes sous nos pieds


Dans les profondeurs de Paris, il existe une multitude de nappes peu profondes. « Il faut s’imaginer une pile d’assiettes creuses de plus en plus petites empilées les unes sur les autres », nous explique Anne-Marie Leparmentier experte en géologie appliquée à la Ville de Paris et qui travaille depuis plus de trente ans sur ces questions.
 
Ces nappes sont de différentes tailles, différentes profondeurs, et sont plus ou moins puissantes. Une nappe bien connue des Parisiens est la nappe de l’Albien. Très profonde (entre 550 et 650m de profondeur), elle sert pour la géothermie, et c’est une nappe stratégique en cas de problème d’approvisionnement en eau potable à Paris. Vous avez d’ailleurs peut-être croisé des fontaines à Paris qui puisent directement leur eau dans la nappe à Paris ! 


A Paris, le sol étant extrêmement minéral et imperméabilisé, les phénomènes de remontées sont déconnectés de la pluviométrie et sont principalement liés aux crues de la Seine.
 

Ce schéma montre une coupe représentant l’ensemble des nappes peu profondes à Paris.
Coupe représentant les nappes phréatiques parisiennes (Source : Les problèmes géologiques, hydrogéologiques et géotechniques de la ville de Paris, Anne-Marie Leparmentier, 1988)
Coupe représentant les nappes phréatiques parisiennes (Source : Les problèmes géologiques, hydrogéologiques et géotechniques de la ville de Paris, Anne-Marie Leparmentier, 1988)
 

Plusieurs zones soumises au risque d’inondation par remontée de nappe


L’ancienne zone marécageuse du Marais, où la Seine débordait autrefois naturellement, fait partie de ces zones. Si les lignes de RER et de métro aux alentours contribuent à la protéger en limitant le phénomène, la zone la plus proche de la Seine est soumise à des phénomènes d’infiltration d’eau dans les sous-sols. Pour le comprendre, revenons un petit peu en arrière. 

Au fil de l’urbanisation de cette plaine alluviale, les Hommes ont procédé à l’assèchement de ce marais en recouvrant de remblais une première couche de sédiments déposés par le cours d’eau : les alluvions modernes. 

Cette couche imperméable à l’eau est elle-même au-dessus d’une autre strate de sédiments, celle-ci perméable : les alluvions dites « anciennes ». 

 Cette accumulation de strates plus ou moins perméables est à l’origine de deux phénomènes :

  • La circulation horizontale : lorsque la Seine est en crue, l’eau peut s’infiltrer via quelques points de fuite au niveau des murs des quais de Seine, et passer ensuite dans les remblais. Ce phénomène de remontée de nappe d'infiltration est assez rapide et peut entraîner des infiltrations aux niveaux des premiers sous-sols. A noter : ces nappes ne sont pas permanentes contrairement aux nappes aquifères.
  • Les remontées verticales : plus lent à se mettre en place, il est provoqué par une infiltration de l’eau dans les alluvions anciennes à partir du fond du lit de la Seine dragué, qui remonte ensuite verticalement au niveau des sous-sols. Il peut avoir lieu même plusieurs jours après la fin de la crue de la Seine car l’eau met plus de temps à s’infiltrer et à remonter : l'eau se propage comme une onde à partir du lit de la Seine et toucher des zones plus excentrées de la Seine. 

Le schéma ci-dessous illustre ces deux phénomènes.

Schéma général des sous-sols parisiens
Schéma illustrant les phénomènes de circulations horizontales et remontées verticales dans les sous-sols (Source : Préfecture de Paris  en collaboration avec l'Inspection Générale des Carrières, 2005)


Quels risques peuvent entraîner les remontées de nappe ? 

En cas de remontée de nappe, les infiltrations peuvent avoir lieu jusqu'à plusieurs semaines après le débordement du cours d'eau, d'où le besoin de maintenir la surveillance et la vigilance. 

Des réseaux énergétiques vulnérables


L’étude Paris face aux changements climatiques réalisée par la Ville de Paris en 2021 estime ainsi que le réseau de chaleur est « particulièrement vulnérable » en cas d’infiltration. Malgré un système de surveillance accru et l’installation de pompes pour protéger certains ouvrages comme les chaufferies, il peut être menacé par les remontées de nappe.

Ces opérations sont rares mais peuvent entraîner des ruptures d’approvisionnement de chaleur pour les clients de la zone impactée. Les réseaux électriques et de froid sont également sensibles.
 

Infiltrations dans les bâtiments et poussée d'archimède


Les bâtiments peuvent aussi être affectés par des infiltrations à différents niveaux de sous-sols selon le type de remontées. Avec les circulations horizontales ce sont les niveaux les plus hauts qui sont touchés. Les remontées verticales peuvent engendrer des infiltrations plus en profondeur.

Les remontées de nappe peuvent aussi fragiliser la structure d’un bâtiment à cause du phénomène de la poussée d’Archimède. C’est pourquoi certains choisissent d’inonder partiellement et volontairement leurs ouvrages pour limiter le phénomène et assurer la stabilisation du bâti.   
 

Un réseau de transport sous tension


Les réseaux de transport sont également sous tension permanente et nécessitent des pompages lorsqu’ils sont trop proches des nappes. Ces pompages peuvent aussi avoir lieu dans des parkings, des bâtiments qui seraient soumis à des infiltrations. Ils nécessitent en revanche une arrivée électrique dont l’approvisionnement peut être mis à mal en cas d’inondation de grande ampleur (c’est ce qu’on appelle les effets dominos). Des groupes électrogènes sont donc présents pour prendre le relai en cas de crise.

Comment la Ville surveille les phénomènes de remontée de nappes ?

Les remontées de nappe sont surveillées grâce à un réseau de piézomètres. Ce sont des forages qui permettent de mesurer le niveau de l’eau dans telle ou telle partie du sous-sol et de comprendre comment les nappes évoluent les unes par rapport aux autres.
 
« Jusque dans les années 90, le réseau de piézomètres ne comptait qu’une soixantaine d’instruments et les mesures étaient faites manuellement 1 fois par mois. Dès 1993, les mesures sont devenues quotidiennes pendant les crues, et les 300 piézomètres du réseau sont désormais dotés d’enregistreurs automatiques pour faciliter les relevés », explique Anne-Marie Leparmentier.

Chaque jour, le relevé de ces mesures permet de tracer des courbes d’évolution des nappes et de mettre à jour les cartographies qui sont ensuite envoyées aux différents acteurs concernés.

Lorsque la Seine est en crue ou en décrue, des cellules de crises sont mises en place et la surveillance est de tous les instants. Des communications sont faites à la SNCF, à la RATP, aux musées, aux hôpitaux, et plus généralement à tous les acteurs qui peuvent être touchés. Des cartes à destination du grand public sont mises en ligne sur Paris.fr

Carte décrue 2016
Copie des cartes publiées sur Paris.fr pendant la décrue de 2016 (Source : Ville de Paris)

Comment prévenir le risque du phénomène de remontée de nappe ?

Installation de protection en surface : les murs et les batardeaux 


Lors des crues de la Seine, des infrastructures en surface viennent compléter les protections pérennes (les murs de quais ont été réhaussés pour résister à une crue type 1910). Des batardeaux sont ainsi installés ponctuellement par les services de la Ville aux endroits où les murs de quais sont absents. 

Des murs du même type sont aussi présents dans les départements limitrophes. Ceux-ci sont néanmoins prévus pour des crues moins importantes (cinquantennales et non centennales comme à Paris) ce qui implique un risque que l'eau arrive à Paris par les communes limitrophes inondées par débordement en cas de crue de type 1910. 

Ces protections permettent de protéger les bâtiments en surface, mais pas les sous-sols des infiltrations d’eau souterraines liées aux remontées de nappe. 

Cela permet toutefois de limiter les infiltrations par la surface et d’alimenter les circulations dans les remblais.
 

Les opération de pompage 


Afin de les protéger, de nombreux acteurs mènent des opérations de pompage, plus fréquents lorsque la Seine monte. Sont concernés les réseaux de métro et de RER, les gestionnaires de parkings, etc. L’eau pompée est ainsi renvoyée au tout à l’égout ce qui permet de maintenir hors d’eau certains équipements. C’est par exemple le cas dans le trou des Halles à Chatelet où l’eau est déviée dans une cuve en contrebas grâce à des drains et ensuite pompée. 

De nouvelles infrastructures sont en train d’être réalisées pour éviter la saturation du réseau et réajuster les niveaux en cas de grosses pluies et de nombreux pompages, comme le réservoir construit actuellement près d’Austerlitz à Paris.

La sensibilisation au risque inondation 

  
La culture du risque est aussi extrêmement importante. Il existe différents documents stratégiques pour savoir comment réagir en cas d’inondation. Des exercices de simulations sont aussi organisés. En 2016, un exercice de mise en situation de crise organisé par la préfecture de police (EU Sequana 2016) a permis de simuler les effets d’une crue type 1910 à Paris avec un ensemble d’acteurs institutionnels et stratégiques. Des outils comme la plateforme EPISEINE sensibilisent les habitant·es et les acteur·rices économiques du territoire au risque inondation. 

Quelles-sont les solutions opérationnelles pour protéger les bâtiments des infiltrations ?

Différentes mesures peuvent être mises en place pour protéger le bâti du risque spécifique d’infiltrations. L’Observatoire de l’Immobilier Durable a travaillé sur un guide des actions adaptives : matériaux résistants à l’eau, installation de clapets anti-retour, adaptation des fondations, surélévation des éléments de structure, installation de dispositifs anti-eau, concentration des équipements et activités essentiels aux étages supérieurs… Autant d’actions qui peuvent être mises en place pour rendre moins vulnérables les bâtiments aux inondations et remontées de nappe.
 
Une solution efficace est de réaliser des cuvelages au niveau des sous-sols pour les imperméabiliser. Seulement, ces travaux sont très coûteux et ne sont pas possibles sur tous les types de bâtiments. 

Sur le bâti ancien, le vieillissement des ciments peut entraîner des infiltrations car les bactéries présentes dans les nappes peuvent chimiquement l'attaquer. Il faut alors traiter pour éviter que le phénomène ne se produise.
 
Il convient également de réfléchir à plusieurs stratégies en amont des risques : éviter, résister ou céder à l’eau ? En cas de risque de déstabilisation du bâti dû au risque induit par la poussée d'Archimède, certains gestionnaires choisissent en effet d'inonder partiellement leurs sous-sols pour stabiliser les structures. 
 

Peut-on pomper sa cave si elle est inondée ?

Outre les ruptures d’approvisionnement, les bâtiments peuvent être soumis à des inondations des caves mais également à une déstabilisation potentielle du bâti. Pour protéger certains sous-sols, il est possible d’effectuer des opérations de pompage.
 
Voici les règles à bien avoir en tête si l’on souhaite pomper sa cave et qui sont rappelées sur le site EPISEINE :
 
  • « Attendre la descente de l’eau pour commencer à pomper, afin d’éviter de pomper la nappe et de fragiliser les murs de son logement ;
  • Toujours placer sa pompe mobile (et tout groupe électrogène) à l’extérieur des bâtiments pour prévenir le risque d’intoxication au monoxyde de carbone ;
  • Respecter les consignes des gestionnaires de réseaux d’assainissement demandant l’arrêt du pompage lorsque de la pluie est annoncée, afin d’éviter une sur-inondation liée au débordement des réseaux d’assainissement. » 
  • Ne pas pomper directement dans le sol, mais dans la cave, afin d'éviter tout risque de déstabilisation du bâti par affouillement. 


Le changement climatique peut-il avoir un impact sur les phénomènes de remontées de nappe ?

Les différents scénarios sur l’évolution du climat à Paris montrent que les épisodes de pluie extrêmes devraient être plus fréquents à l’avenir. Ces fortes pluviométries peuvent entraîner des crues très rapides de la Seine. Cela a par exemple été le cas en juin 2016 : une forte pluviométrie sur l’orléanais et le Sud de la région parisienne a entraîné une montée du niveau de la Seine très rapide : 1 m par jour environ contre 50 cm par jour normalement. 

En 2016, il a ainsi suffi de quelques jours pour avoir une crue de type décennale (qui a une probabilité de 1/10 quand arrive une crue).

Ces crues étant très rapides, les nappes n’ont pas eu le temps de regonfler en profondeur et le phénomène de remontées verticales n’a pas eu lieu. Cependant, la rapidité de cette crue a entraîné des infiltrations horizontales très rapidement, affectant les sous-sols proches de la Seine à des niveaux plus hauts. Ces phénomènes pourraient donc se reproduire en cas de crues dues à des pics de précipitations. 



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