Diagnostiquer la surchauffe urbaine : notions et démarches (1/2)

Diagnostiquer et cartographier les risques liés à la chaleur sur son territoire devient obligé pour les collectivités face à l'aggravation des canicules. Il est pour cela essentiel de maîtriser les différentes notions en jeu et définir ce que l'on cherche, ce qui est l'objet de ce premier article, compléter par un second portant sur le choix de la bonne méthodologie.
[Publié le 5 septembre 2023]

Auteurs et autrices : Marin Pugnat (Agence Parisienne du Climat), Elodie Briche (ADEME), Martin Hendel (Laboratoire Interdisciplinaire des Energies de Demain), Marjorie Musy (CEREMA)


Pour s’adapter au changement climatique, il est important de bien connaître la vulnérabilité de son territoire. Lorsqu’on parle de forte chaleur dans les villes denses, un phénomène est incontournable pour comprendre cette vulnérabilité : l’îlot de chaleur urbain (ICU), qui vient renforcer les effets des vagues de chaleur. Cette notion a gagné en popularité ces dernières années, d’abord dans le monde de la recherche, puis auprès des collectivités et agences d’urbanisme depuis la canicule de 2003. On voit apparaître de plus en plus de cartographies de “l’îlot de chaleur urbain”, ou des “îlots de chaleur urbain” : à Paris, Toulouse, Dijon, Lille, Strasbourg, Nantes, Bordeaux, Rennes...

Deux articles pour mieux s'y retrouver

Les méthodes diffèrent, certaines partant des températures de l’air ou de surface quand d’autres s’appuient sur la morphologie urbaine. Les échelles diffèrent également, allant d’une étude poussée d’un îlot ou d’un quartier à une carte à l’échelle d’une métropole. Les temporalités ont également leur importance, car l’effet d’îlot de chaleur urbain varie au cours de la journée, mais aussi des saisons.
 
Enfin, ces travaux de diagnostics peuvent être initiés, puis utilisés à des fins différentes. Alors que la demande pour les cartographies et simulations de l’ICU croît, notamment en marge des PCAET, tout comme le nombre d’acteurs qui en proposent, il est important de bien s’y retrouver. En effet, les phénomènes en jeu et contextes sont complexes et la mise en œuvre de telles démarches n’est pas sans écueils.
 
L’objet de ces deux articles est de donner les clés aux collectivités et agences d’urbanisme qui envisagent de se lancer dans une démarche de diagnostic du phénomène d’îlot de chaleur urbain de leur territoire, ou plus largement de la vulnérabilité aux fortes chaleurs, pour bien comprendre ce qu’elles peuvent en attendre, s’assurer que le diagnostic corresponde bien à la réalité de leur territoire, et qu’il contribue à la mise en place d’actions d’adaptation.

L’îlot de chaleur urbain : un phénomène important pour comprendre le climat urbain

Qu’est-ce que le phénomène d’ îlot de chaleur urbain ?


Le phénomène d’îlot de chaleur urbain (ICU) est une des caractéristiques les plus connues du climat urbain. Ce phénomène se manifeste par un réchauffement local de l'air en ville par rapport à sa campagne environnante. Il est présent à l’échelle de toute agglomération.
 
L'intensité de l’ICU, c’est-à-dire la différence de température qu’il produit entre un site urbain et un site rural proche, est variable dans l’espace, mais aussi dans le temps, pouvant même être négative le matin avant d’atteindre son maximum quelques heures avant le lever du soleil. Elle dépend fortement des conditions météorologiques : l’ICU est le plus fort en conditions dites radiatives ou anticycloniques, c’est-à-dire par ciel clair et faible vent. De l’ordre de 3 °C en moyenne à Paris, son intensité peut dépasser ponctuellement les 10°C (Cantat 2004).
 

Pourquoi se produit-il ?


Le phénomène d’ICU résulte de la modification des échanges thermiques (conductifs, convectifs et radiatifs) en ville par rapport à une zone naturelle. Il s’explique par la morphologie urbaine, les propriétés des matériaux urbains, le manque de sols perméables et d’espaces verts, et les activités humaines. Ces caractéristiques sont à l’origine de quatre mécanismes principaux, illustrés dans le schéma ci-dessous.

Les mécanismes à l'origine de l'îlot de chaleur urbain (source : Agence Parisienne du Climat)
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Pourquoi est-il un facteur important de vulnérabilité des villes face au changement climatique ?

 
Le phénomène d’îlot de chaleur urbain aggrave les canicules, en augmentant les températures en ville, principalement la nuit. Et ce d’autant plus que les canicules se manifestent souvent par temps anticyclonique, propice au phénomène. Les populations sont aussi soumises de jour comme de nuit à des situations de stress thermique, ce qui démultiplie les impacts sanitaires dans les grandes villes.

La canicule de 2003 en a été un exemple frappant. Une étude de l’Institut national de veille sanitaire a montré que la surmortalité, qui était de 40 % dans les petites et moyennes villes, avait atteint 80 % à Lyon et 141 % à Paris. Le phénomène d’îlot de chaleur urbain a été identifié comme un des principaux facteurs de surmortalité, l’étude estimant qu'habiter dans un quartier plus chaud multipliait le risque de décès par 2, « surtout si cette chaleur persiste la nuit et pendant plusieurs jours ».
 
Malheureusement, les prévisions du changement climatique montrent que les canicules deviendront plus intenses et plus fréquentes à Paris. L’enjeu du rafraîchissement urbain pour l’adaptation au changement climatique de Paris et d’autres villes est donc de première importance.

Source : Météo-France et Agence Parisienne du Climat


 

Hétérogénéités spatiales et temporelles de l’ICU et du (micro)climat urbain : attention aux confusions

Le terme « d’îlot de chaleur urbain » est sujet à de nombreuses confusions, et il est facile de se perdre au milieu des nombreux concepts relevant de la surchauffe urbaine. Pour qu’un diagnostic soit adapté, il est important de savoir ce que l’on cherche et de bien l’exprimer en amont !
 

« Îlot urbain », « îlots de chaleur » : attention aux faux amis !

 
On trouve souvent des termes qui s’approchent de l’îlot de chaleur urbain, y compris dans des études d’urbanisme ou des plans stratégiques, entretenant une confusion. Ainsi, en urbanisme, on parle « d’îlot » pour désigner une échelle, en l’occurrence le pâté de maisons (un groupe de bâtiment délimité par les rues). Intuitivement, on peut alors penser que l’îlot de chaleur urbain est un phénomène micro-local circonscrit à un îlot urbain. Or, il s’agit d’un phénomène climatique à l’échelle de la ville ou de l’agglomération !
 
Cette confusion est peut-être à l’origine de la notion « d’îlots de chaleur » désignant parfois les zones les plus chaudes de la ville, par opposition aux îlots de fraîcheur qui sont des zones plus fraîches.

Ainsi une place peut être qualifiée "d'îlot de chaleur". Cette notion n’est pas issue du monde scientifique mais est très utilisée par les collectivités et agences d’urbanisme et certains articles de vulgarisation. Il ne faut donc pas la confondre avec le phénomène d'îlot de chaleur urbain.

La chaleur en ville ne se résume par à l'ICU !

 
La notion d’ICU est souvent employée comme un terme générique pour désigner les enjeux de surchauffe en ville. Si comme nous l’avons vu, elle est une notion clé pour comprendre le climat urbain et par exemple la surmortalité pendant les canicules, d’autres notions peuvent être complémentaires voire plus intéressantes dans certains cas pour évaluer l’exposition d’une zone aux fortes chaleurs.

Le stress thermique dénomme un état physiologique dans lequel le corps humain subit une pression plus ou moins importante vis-à-vis de la régulation de sa température, à savoir 37 °C pour une personne en bonne santé.

Cela peut désigner une difficulté du corps à réguler sa température à la hausse (stress froid ou hypothermique) ou à la baisse (stress chaud ou hyperthermique). Les réactions physiologiques classiques pour réguler la température du corps sont par exemple le frisson contre le froid et la transpiration contre le chaud.
 
Les variables microclimatiques qui impactent le stress thermique sont :
 
  • La température de l’air et la vitesse du vent ont une influence sur les pertes thermiques du corps humain par convection.
  • L’humidité de l’air a quant à elle un impact sur l’efficacité de la transpiration. En effet, plus il fait humide, moins la transpiration est efficace. Une vitesse de vent plus importante peut compenser une augmentation d’humidité.
  • Enfin, la température moyenne de rayonnement est un indicateur de l’impact réchauffant (ou rafraîchissant) du rayonnement environnant en un point donné. Par exemple le rayonnement du Soleil augmente cette moyenne quand celui émis par une paroi froide la baisse. Concrètement il s’agit de la température d’une enceinte fermée fictive au centre de laquelle l’énergie rayonnée reçue serait égale à celle en conditions réelles.


Les facteurs influençant le stress thermique (source : Agence Parisienne du Climat)





























Les notions d’îlot de chaleur urbain et de stress thermique s'appréhendent donc à des échelles spatiales très différentes : l’ICU est une vision de la surchauffe urbaine à l’échelle de la ville, tandis que le stress thermique s’étudie à l’échelle du corps humain et implique avant tout l’environnement immédiat de ce dernier, notamment de par sa sensibilité aux échanges radiatifs.
 

Pourquoi diagnostiquer la surchauffe urbaine ?

Diagnostiquer la vulnérabilité de son territoire à la surchauffe urbaine peut donc s’appréhender à travers différentes échelles (îlot, quartier, ville, métropole) et différents enjeux (ICU, confort thermique, îlots de fraîcheur...). Pour choisir le bon angle d’analyse, il est important de bien définir en amont ce qu’on souhaite savoir, ce qu’on attend du diagnostic, et comment il va être utilisé. Voici les principales démarches.
 

Evaluer la vulnérabilité du territoire face aux canicules

 
L’évaluation du phénomène d’îlot de chaleur urbain sur son territoire peut s’intégrer dans une évaluation de la vulnérabilité aux fortes chaleurs, servant par exemple à l’élaboration d’un Plan climat-air-énergie territorial (PCAET). Celui-ci doit en effet comprendre, depuis le décret n° 2016-849 du 28 juin 2016, « une analyse de la vulnérabilité du territoire aux effets du changement climatique ».

Comme le précise par exemple le Teddif, le niveau de vulnérabilité s’évalue en combinant l’exposition à un aléa, ici la probabilité et l’intensité des vagues de chaleur à venir, et la sensibilité du territoire, à laquelle le phénomène d’îlot de chaleur urbain participe. L’étude de ce phénomène peut prendre la forme d’une cartographie, qui est un outil efficace de sensibilisation, ou plus simplement consister à comparer les températures nocturnes entre différentes zones choisies pour quantifier l’ampleur du phénomène.

Pour bien connaître la sensibilité de son territoire, il est intéressant d’y ajouter des données disponibles sur les logements et des données socioéconomiques. En effet, des logements mal isolés, l’isolement des habitants, la précarité et l’âge aggravent les conséquences sanitaires des vagues de chaleur.

Ce diagnostic doit constituer un préalable à l’élaboration de la stratégie d’adaptation visant à réduire la sensibilité du territoire.
 

Identifier les “zones à enjeu”

 
L’usage le plus récurrent des cartographies est d’identifier les “zones à enjeu”, c’est-à-dire les plus vulnérables, pour prioriser l’action. Le diagnostic peut alors précéder l'élaboration d'un plan d’action, pour choisir où mettre en place des actions de rafraîchissement de l’espace public, créer des îlots de fraîcheur ou encore agir sur le bâti.

Dans le cadre d’un document de planification (PLU, SCOT), il peut aussi aboutir à des règles particulières sur les zones identifiées, par exemple en termes d’espaces libres requis, de végétalisation ou de choix des revêtements, voire d’interdiction de nouvelles constructions.
 
Cette démarche se place à l’échelle du territoire (ville ou métropole), même si elle peut être complétée par une analyse à plus petite échelle des zones identifiées. 

Ce sont souvent les enjeux sanitaires qui vont motiver cette démarche. Dans ce cas, l’étude du phénomène d’ICU est tout à fait pertinente. Mais pour identifier les zones à enjeux, il est important de croiser avec des données sociologiques, notamment l’âge et les revenus des populations, qui déterminent leur capacité à faire face à la surchauffe urbaine. Une analyse en creux des îlots de fraîcheur permet de son coté d’identifier les zones qui en sont carencées. Si des données sont disponibles, les caractéristiques des logements doivent également être considérées.
 

Identifier les îlots de fraîcheur

 
Les cartographies permettent souvent de visualiser les points frais du territoire. Ces îlots de fraîcheur correspondent à des zones délimitées, souvent un espace vert, offrant un confort thermique relativement bon pendant les périodes canicules.

Au-delà de révéler d’éventuelles zones de carences en points pour se rafraîchir, identifier les îlots de fraîcheur permet :
  • de les recenser auprès de la population
  • de justifier leur protection dans un PLU
  • d’encourager les aménagements renforçant leur effet rafraîchissant, 
  • et de dessiner des parcours de fraîcheur en les reliant entre eux, en travaillant sur le stress thermique le long de ces parcours. 

Pendant des périodes de sécheresses qui imposent des restrictions de l’usage d’eau douce, les îlots de fraîcheur qui se situent dans des quartiers exposés à l’ICU peuvent aussi être exemptés d’interdiction d’arrosage, afin de les préserver, ce qu’a fait Nantes par exemple.

Monitorer dans le temps le phénomène d’îlot de chaleur urbain

 
Le diagnostic peut se limiter à une période définie, par exemple un été, mais il est possible de le prolonger sur le temps long afin de monitorer l’îlot de chaleur urbain et ainsi étudier son évolution, ce que permet un réseau de mesures pérenne. 

Dans le cadre de l’élaboration d’un PCAET, cette approche peut se traduire avec des objectifs chiffrés de réduction (ou de non-augmentation) de l’intensité de l’ICU pour certaines zones, qui pourront être vérifiés. Sur un temps plus court, une analyse en temps réel peut générer des alertes localisées lorsque des seuils sont franchis, et ainsi s’intégrer dans un plan canicule. 

Par ailleurs, ce suivi de l’ICU peut faire partie d’un observatoire de l’environnement urbain, et nourrir un service climatique dédié à l’étude du climat local, qui peut s’appuyer sur les données récoltées pour fournir des informations sur mesure selon les besoins de la collectivité.
 

Analyser le confort thermique dans un quartier

 
Quand on en vient ensuite à une analyse plus détaillée du confort thermique, il s‘agit d’identifier et de comprendre à une échelle fine (rues, places, cœurs d’îlot) les situations de confort ou d’inconfort. 

Localement, on pourra ainsi remonter aux sources d’inconfort : par exemple des vents trop forts en hiver, un manque d’ombrage en été, une forte réflexion solaire par les surfaces horizontales ou verticales… ou au contraire un environnement frais lié à l’ombrage créé par les bâtiments ou des arbres. 

Les études doivent être très locales, en effet, d’un point à un autre, les conditions de vent et l’environnement radiatif peuvent varier très fortement.

Les conditions de confort attendues doivent aussi prendre en compte les usages d’un espace, suivant qu’il soit lieu de passage, d’attente, qu’il laisse la possibilité aux usagers de s’arrêter ou de passer là où les conditions de confort conviendront le mieux à leurs attentes, et des heures pendant lesquelles il est utilisé.
 
Cette analyse permet de mettre en place des actions adaptées pour améliorer les conditions de confort et remédier aux situations d’inconfort quand cela est possible.
 

Prendre en compte le confort thermique dans un projet d’aménagement

 
Les collectivités, mais aussi parfois les aménageurs, cherchent souvent à anticiper l’effet de nouveaux aménagements sur le confort thermique ou sur l’effet d’îlot de chaleur urbain. Cette analyse à une échelle micro-locale peut intervenir avant un réaménagement important, par exemple la transformation d’une place, ou être systématisée pour tous les projets à venir, en intégrant un critère “ICU” ou “confort thermique” dans l’évaluation des projets urbains.

S’agissant d’évaluer des projets, et donc des situations encore inexistantes, la constatation in situ n’est pas possible. L’analyse doit alors passer par des outils de simulation plus ou moins complexes à l’aide desquels les formes urbaines, le choix des matériaux, l’emplacement de la végétation, voire le choix des essences selon le stress hydrique et thermique pourront être étudiés.
 
A noter qu’il est là encore important de considérer les usages des espaces pour adopter les bons indicateurs d’analyse ainsi qu’intégrer une dimension temporelle. Par exemple, un aménagement sur un parvis de gare aura surtout vocation à améliorer le confort thermique en journée, surtout aux heures les plus chaudes, alors que pour une action sur une zone peu fréquentée en pleine journée dans un quartier résidentiel dans lequel les résidents disposent de jardins, il sera surtout important de veiller à ce que l’espace ne contribue pas à renforcer l’effet d’îlot de chaleur urbain. Dans le premier cas, l’utilisation de surfaces très réfléchissantes qui sont préconisées pour réduire l’effet d’îlot de chaleur urbain sera moins adaptée que dans le second cas, car elle crée, en période de forte insolation et en l’absence d’ombrage, des situations très inconfortables.

Une fois que l’on a bien défini ce que l’on cherche, il est temps de se pencher sur les méthodes qui seront les plus adaptées à ses moyens et à ses besoins. Elles sont nombreuses, chacune ayant ses intérêts et ses limites. Pour les découvrir, lisez notre deuxième article !

LISEZ LA DEUXIÈME PARTIE : DONNÉES ET MÉTHODES POUR CARTOGRAPHIER LA SURCHAUFFE URBAINE 


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